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J’avais mis le réveil à sonner pour dans quatre heures. Mes touristes m’entendirent m’agiter et se levèrent aussi. Dorrie nous servit du café de la Thermos et nous le bûmes tout en regardant les schémas que l’ordinateur des sondes avait tracés sur l’écran.
Je pris quelques minutes pour les étudier bien qu’au premier coup d’œil ils fussent assez clairs. Ils révélaient huit énormes anomalies susceptibles d’être des garennes heechee. Nous n’aurions pas à déplacer la coquille d’air pour creuser jusqu’à elles.
Je leur montrai ces anomalies l’une après l’autre. Cochenour se contenta de les étudier d’un air songeur. Mais Dorrie demanda :
— Vous voulez dire que tous ces pâtés sont des tunnels inexplorés ?
— Non. Je le souhaiterais, pourtant. Mais supposons qu’ils le soient. Primo, l’un d’eux, ou tous, peuvent avoir déjà été explorés par quelqu’un qui ne s’est pas donné le mal de le faire enregistrer. Secundo, ce ne sont pas forcément des tunnels. Ce peut être des fractures ou des dykes ou encore de petites rivières composées de matière fondue, jaillies d’un point quelconque, durcies, puis recouvertes il y a un milliard d’années. La seule chose que nous pouvons affirmer jusqu’à présent, c’est qu’il n’existe probablement aucun tunnel non exploré dans cette zone, excepté dans ces huit sites.
— Alors, qu’allons-nous faire ?
— Creuser. Et ensuite, nous verrons ce que nous avons trouvé.
— Et où creusons-nous ? demanda Cochenour.
Je désignai l’endroit situé tout près du delta brillant représentant la coquille d’air.
— Juste là.
— Est-ce le meilleur endroit ?
— Euh… pas forcément.
Je me demandai ce que j’allais lui dire et décidai d’expérimenter la vérité.
— Il existe trois autres diagrammes qui semblent plus favorables. Je vais vous les marquer.
J’enclenchai les commandes des cartes et sur les trois bons diagrammes s’affichèrent aussitôt des lettres : A, B, C.
— A s’étend juste sous la gorge. Donc nous commencerons à creuser ici.
— Les plus brillants sont les meilleurs, c’est ça ?
Je fis signe que oui.
— Mais ça, là-bas, c’est la lettre la plus brillante. Pourquoi ne pas commencer par là ?
Je choisis mes mots avec un très grand soin.
— En partie parce qu’il nous faudrait déplacer la coquille d’air. En partie parce qu’elle se situe sur le périmètre extérieur de l’aire d’exploration. Ce qui signifie que les résultats ne seront pas aussi fiables que ceux obtenus à proximité de la coquille. Mais la raison principale, c’est que C se situe à la frange de la ligne que nos amis de la Défense à la gâchette facile nous ont demandé de ne pas franchir.
Cochenour poussa un ricanement incrédule.
— Vous me dites, si j’ai bien compris, que si nous découvrons un tunnel heechee vraiment intact, vous ne vous en approcherez pas sous prétexte que quelques soldats vous ont dit « bas les pattes » ?
— Ce problème ne se pose pas. Nous avons sept anomalies à sonder. Donc… les militaires vont venir nous contrôler de temps à autre. Surtout dans les deux prochains jours.
— Bien, s’entêta Cochenour, supposons que nous nous cassions le nez avec les tunnels légaux. Que fait-on ensuite ?
— Je ne parie jamais sur l’échec.
— Mais supposez-le !
— Bon sang, Boyce ! Comment voulez-vous que je le sache ?
Il céda enfin mais lança un clin d’œil à Dorrie et pouffa de rire :
— Qu’est-ce que je t’avais dit, mon chou, hein ? Ce type est un plus grand bandit que moi !
Mais Dorrie me regardait.
— Pourquoi avez-vous cette teinte ? me demanda-t-elle.
Je répondis par un mensonge, mais quand je me reluquai dans le miroir, je découvris que le blanc de mes yeux virait au jaunâtre.
Durant les quelques heures qui suivirent, nous fûmes bien trop occupés pour discuter de conjectures théoriques. Nous avions à nous soucier de plusieurs faits bien concrets.
Le plus important était l’atroce quantité de gaz à haute température et à haute pression que nous devions empêcher de nous tuer. Voilà à quoi servaient nos combinaisons thermorésistantes. La mienne avait été taillée sur mesure, bien entendu, et seuls ses réservoirs et divers appareils devaient être vérifiés. Celles de mes touristes étaient louées. J’avais payé un max pour elles, et c’étaient de bonnes combinaisons. Je les leur fis enfiler et retirer une demi-douzaine de fois pour ajuster la taille le mieux possible. Ces combinaisons étaient composées de douze feuilles d’amiante avec une mobilité de neuf degrés aux articulations principales, et elles avaient leurs propres petites réserves de combustible. Ce qui m’inquiétait, c’était le confort, car la plus infime démangeaison risque de devenir grave lorsqu’on n’a aucun moyen de la calmer.
Enfin, ils furent prêts pour tenter une première sortie. Nous nous entassâmes vaille que vaille dans le sas et j’ouvris la portière donnant sur la surface de Vénus.
Nous étions encore dans le noir, mais la réfraction de la lumière solaire est telle qu’il ne fait jamais nuit noire sur cette planète. Je laissai mes Terriens s’exercer à marcher autour de la coquille, pliés contre le vent et se retenant aux crampons et aux flancs de la coque, tandis que je préparais tout le matériel pour creuser.
Je sortis notre premier igloo instantané, le traînai jusqu’à l’emplacement choisi pour sonder le terrain et y mis le feu. Tandis qu’il se consumait, il gonfla comme ce jouet pour enfants qu’on appelle un Serpent de Pharaon. Il produisit une cendre légère mais dure qui s’accumula tout autour du site de forage et s’aggloméra en un dôme sans coutures au sommet. J’avais déjà apporté les foreuses et le sas-chatière. Comme la cendre s’accumulait, je parvins à fixer du premier coup le sas en obtenant une jointure parfaite.
Dorrie et Cochenour m’observaient depuis le vaisseau à travers leur casque. Alors j’enclenchai la touche radio.
— Vous voulez venir et me regarder commencer ? criai-je.
Tous deux firent oui de la tête.
— Venez, alors ! hurlai-je.
Alors je me faufilai en me tortillant dans le sas-chatière. Je leur intimai d’un geste de le laisser ouvert lorsqu’ils me suivraient.
Avec nous trois, plus le matériel de forage, l’igloo était encore plus encombré que la coquille d’air. Ils s’éloignèrent le plus possible de moi, leurs corps penchés épousant la forme arrondie de la paroi de l’igloo. Je mis en marche les foreuses, m’assurai qu’elles étaient bien à la verticale et observai les premiers échantillons qui remontaient en spirale de l’entaille.
L’igloo réfléchit une grande quantité de sons et en absorbe encore plus. Pourtant le vacarme à l’intérieur était encore pire que celui provoqué par les hurlements des vents. Les foreuses étaient très bruyantes. Quand j’estimai que les Terriens en avaient vu assez pour satisfaire leur curiosité, je leur fis signe de repasser par la chatière, leur emboîtai le pas, la scellai derrière nous et les ramenai jusque dans la coquille.
— Jusqu’à présent, tout va bien, dis-je en dévissant mon casque et en desserrant ma combinaison. Nous avons à peu près quarante mètres à forer. On peut tout aussi bien attendre ici qu’à l’extérieur.
— Et cela prendra combien de temps ?
— Une heure, peut-être. Faites ce que vous voulez. Moi, je vais prendre une douche. Ensuite nous irons voir jusqu’où nous avons creusé.
Il y avait avantage à n’être que trois. Nous n’avions pas à nous imposer une stricte discipline pour l’eau. Une petite douche fraîche est étonnamment vivifiante quand on sort d’une combinaison thermorésistante. Après cela, je me sentais prêt à tout.
J’étais même prêt à manger un peu de la cuisine fine à trois mille calories de Cochenour mais heureusement, ce ne fut pas nécessaire. Dorrie s’était approprié le fourneau et ce qu’elle nous servit fut simple, léger et assez peu toxique. Avec une nourriture comme la sienne, je pourrais survivre assez longtemps pour toucher mes honoraires de guide. Je m’étonnais d’abord qu’elle fût une mordue de la nourriture diététique, puis compris qu’elle voulait maintenir Cochenour en vie, pardi ! Avec toutes ses pièces de rechange, il devait avoir des problèmes de régime bien pires que les miens.
Pires, non. Disons qu’il avait probablement moins de chances d’en mourir.
La surface vénusienne n’était pas, dans cette zone-là, uniquement constituée de sable volcanique. Les foreuses vinrent à bout de cette couche rapidement. Trop rapidement, en fait. Quand je retournai dans l’igloo, celui-ci était presque entièrement rempli d’échantillons. J’eus un mal de tous les diables à atteindre les foreuses et à les orienter de sorte qu’elles pompent les extraits à travers le sas.
Un sale boulot, mais qui fut vite expédié.
Je ne me donnai pas la peine de retourner dans la coquille. Je signalai par radio aux Terriens qui me regardaient à travers le hublot que nous étions près du but. Mais j’évitai de leur préciser la proximité exacte de l’anomalie.
En réalité, nous n’étions qu’à un mètre de sa profondeur indiquée sur écran, si bien que je ne sortis pas tous les extraits de l’igloo. Je me contentai de faire assez de place pour pouvoir manœuvrer à l’intérieur.
Puis je réorientai les foreuses. Cinq minutes plus tard, les morceaux qui apparurent scintillaient de la lueur bleu pâle du métal heechee, signe que nous étions tombés sur un vrai tunnel.